Dans le road book qui nous a été remis par Jean-François et Romain, il est écrit « hors piste, privilégier la marche de jour ». Christelle et moi, c’est bien connu, nous sommes deux bonnes élèves. Alors on part au petit matin. Une heure à peine de noir sur le sentier qui descend jusqu’au croisement. Et qui nous suit ? Bah Lolo pardi ! C’est maintenant qu’il va falloir être sérieuses. Oui oui on essaie ! Parce que jusqu’au CP3, le canyon va nous remuer, nous secouer les boyaux. Je n’ai pas spécialement de problème avec le vide, mais je n’ai aucune envie de tomber. Ma Cricri en revanche travaille dur sur son vertige depuis plusieurs mois. Alors il va falloir être fortes. Je vais tenter d’endosser le rôle du guide. Je marche devant et préviens de tout passage dangereux. Mets ton pied sur cette pierre, elle est stable. Ne monte pas trop dans la pente, reste en bas, tu sais marcher. Range ces bâtons s’ils te gênent et tiens toi aux rochers avec tes mains directement. Ca glisse, ça glisse ! Impossible de se retenir avec toutes ces épines et cette végétation. Vitesse de croisière tortue enclenchée.
Nous passons à flanc de canyon. Pas le droit à l’erreur. Marcher lentement mais sûrement et ne surtout pas s’arrêter. Christelle prend sur elle comme jamais. Suis moi. Tout va bien. C’est mieux après ce virage. On a passé la zone à risque. On oscille entre rire nerveux et soulagement. Je continue à parler. D’un même ton. D’un même rythme. Ensemble, on va moins vite. Mais on va plus loin. Je le sais. Lolo nous suit. Que peut-il bien penser à cet instant ?
Après la petite pause syndicale, chocolat et petits plaisirs, la descente reprend de plus belle. « Dans la vie, il y a des cactus. Moi je me pique de le savoir ». Jacques Dutronc est mexicain c’est sûr. Et il connaît ce sentier. Nos chants raisonnent. Et nos fesses sont tout de suite indispensables. Pas le choix. A moins d’être kamikazes (n’est-ce pas Delphine ?!!). C’est à pic. C’est poussiéreux. C’est une forêt de cactus. La voici, là voilà ! Mesdames et messieurs, bienvenue au cirque Pinder pour ce fabuleux numéro d’acrobates en jupettes. On rigole mais on ne fait pas vraiment les malignes.
En bas. Saines et sauves. Les griffures, ça ne compte pas ! A peine un obstacle franchi, qu’on passe au suivant. Ma pauvre Cricri, c’est ta journée ! Nous voici au magnifique pont de singe, joli pont suspendu au-dessus du rio. On se tient la main et on y va. Tout va bien. Ca bouge, c’est normal. Bon, j’avoue, ça penche un peu à droite, mais ce n’est peut être pas le moment d’en parler ! Et voilà. On y est. On a réussi. Tous les passages périlleux sont derrière nous. A cet instant, je suis rassurée et si fière de Christelle. Elle est allée chercher au fond de ses tripes. Elle a vaincu sa peur. Et comme elle dit, ce pont, on n’avait pas le choix, c’était hors de question de remonter dans les cactus !
Finies les glissades dans les cailloux. Rodriguez ! Notre cri de ralliement quand l’une d’entre nous chasse et manque de tomber. Rodriguez ! Pour se dire OK je gère, je suis debout ! Et à présent, on ne risque pas de tomber jusqu’au CP3. On monte, on monte, on monte. Et on monte encore. Ca ne s’arrête jamais. Une crête. Un plateau. Non encore au-dessus. Les heures passent, le soleil nous assomme. Je suis KO. Il fait 40 degrés à l’ombre. Il n’y a pas d’ombre. On remplit au maximum nos gourdes dès qu’il y a un point d’eau. A côté des bouses… Oui bah on s’en fout, on a soif ! Pas d’ombre. On va tous mourir, murir. Bref, on va cuire, rôtir, se liquéfier. Même Lolo adore nos petits arrêts dans ce désert de cailloux. Blancs. Pour bien réfléchir la chaleur du fournil !! Il balance « calor ! ». Un fer à repasser ? Mais pourquoi faire ? Mon cerveau bout. Oui, bon, j’ai capté. Je deviens bilingue. J’ai chaud moi aussi ! Je veux rester ici. M’allonger. Laissez moi dormir.
Allez zou. Montons encore. Et encore. Ca ne s’arrêtera jamais. Jamais. Et j’ai si mal au fibulaire. Et au tibial antérieur. Ca tire, ça tire. Au-dessus de la cheville. Je ne savais pas que ces tendons existaient et encore moins quel était leur petit nom… Et merde, que se passe-t-il ? Ai-je fait un mauvais mouvement hier au cours de mon magnifique programme technique hi hi ? Cela aurait été trop facile…
L’ascension reprend. Je n’en peux plus. Christelle est devant. Ces heures passées à monter sont usantes. Je refais la trace. Puis c’est à elle. Et après de nombreuses montagnes cachées « c’est bon on arrive, ah non ça continue au-dessus derrière bordel ! », on arrive enfin sur le plateau et on longe un mur de pierres. Lolo nous parle de coca et de pizza. Enfin. Pas sûr. Avec notre niveau impeccable en espagnol, on réinvente tout. Oui oui il a dit pizza ! T’es sûre Cricri ?! Moi je veux bien le coca remarque ! Et bordel j’ai mal !
CP3. C’est Tiphaine qui nous accueille. Km 82. Churo. C’est l’heure du gouter ! Et hop les bonnes pâtes Bolino au poulet. Et hop le coca ! Et hop le massage rassurant du tibia. Tiens c’est qui lui avec sa kalach ? Tiphaine me raconte que c’est un narco trafiquant qui garde le troupeau d’à côté et protège le village, les gens d’ici n’ayant plus du tout confiance en la police. Bah écoute, tant qu’il est gentil avec nous, moi ça me va, on s’adapte à la culture locale… Cela fait deux jours qu’elle vit dans cette famille Raramuri. J’aime bien cette maisonnette. Il y a aussi Alejandra et Octavio Jr avec elle. Il joue avec les autres enfants du village et au milieu des poules, des ânes, qui réveillent Tiphaine le matin dans sa tente. Nous sommes hors du temps ici. Cela nous rappelle les fermes de notre enfance. Une vie simple. Calme. Mais… avec des kalach… Cricri a fait un petit roupillon et repart comme en quarante. Il va falloir y aller. On fera un gros dodo au CP4 cette nuit. 29 kilomètres plus loin. Bye bye Lolo, ce fut un plaisir.
De légers soubresauts. Ca monte. Ca redescend illico. Ca passe. Pas le choix non ?! On plaisante sans cesse, on se tait, on avance. Des cailloux ! « Et la cabane au fond du jardin ! ». On enchaîne les bêtises. Les kilomètres défilent en forêt. On pourrait être en France ou n’importe où sur le planète. Sans repères. On pense qu’on arrivera dans quelques heures. Vite. Des chevaux nous barrent la route. Ca passe. Un enfant avec son père au milieu de nulle part. Inattendu. Enfin… nous le sommes encore plus ici pour eux sûrement !
Le ciel est rose. La deuxième nuit tombe sur l’Ultra Run Raramuri. C’est beau. On passe de nombreuses barrières en barbelés, difficiles à ouvrir ou à refermer. Les troncs se transforment en silhouettes noires qui me regardent immobiles au loin. Des narcos j’en suis sûre… J’ai peur. Non personne. Il n’y a que nous. On se tait de plus en plus. Deux trois rires. Et le silence de nouveau. Je commence à souffrir. J’avance mais c’est de pire en pire. Heureusement, je sais qu’on arrive. Assises sur un gros rocher. Allez. Il doit rester 3 ou 4 kilomètres. Dans une heure maxi, on stoppe. Une heure…
« La colline a des yeux ». Ils sont partout. Des paires d’yeux dans le noir. Une masse énorme descend du talus devant nous. Mais waouh ! C’est quoi ce machin ? Un cheval ! Ce n’est qu’un cheval effrayé lui aussi ! Oh mon Dieu… Des cornes. Des vaches aussi. Des chiens féroces derrière un grillage. Un cimetière. Cricri, je suis contente d’être avec toi. Parce que là ça devient vraiment flippant…
Ce village. Oui on arrive. On le traverse. Mais où est ce foutu CP ? Une école. Rien. Une église. Rien. On ressort de la cour. Non, ce n’est pas possible. Demi tour. Non toujours rien. Rien. On tournicote. Il fait de plus en plus froid. Il est plus d’une heure du matin. Ca suffit. La trace est là, les balises sont là, où est ce fichu CP ? Allo Jean-François. On est où là ? « Faites vous confiance les filles. Posez plusieurs hypothèses et testez les ». OK Cluedo c’est parti. En attendant on grelotte et comme on ne trouve toujours pas et que les balises sont très espacées les unes des autres, il est temps de mettre tous nos vêtements. Bluff, gants, polaire, collant, veste. On ne les a finalement pas porté sur notre dos pour rien ! Allons nous en. Ce village ne veut pas de nous. Poursuivons plus loin.
En réalité, le CP doit être à près de huit kilomètres. On va mettre encore deux grosses heures avant de le trouver. A chaque virage, Christelle me dit « de la lumière » et à chaque virage, c’est la lune qui passe à travers les arbres et nous éclaire. Chaque rocher est une maison. Et cette jambe qui me terrasse à petit feu. Je suis à distance. Les larmes aux yeux tellement j’ai mal. Je me prends à présent comme de petites décharges électriques. De temps en temps. Par surprise. L’enfer. Chaque pas devient un combat. Je gémis. Christelle, ne me laisse pas, attends moi. Je ne dis rien. On se connaît. On se comprend à présent. Elle me laisse tranquille. De toute façon, il faut continuer. Ma jambe est bleue, noire, l’hématome grossit. Je panique. Et si tout s’arrêtait là ? Au CP4 ? Il reste encore plus de 80 kilomètres. Je n’y arriverais jamais. Je ne peux pas me bousiller. Mon corps, je n’en ai qu’un. Oui. Mais je ne veux pas m’arrêter. Stop Mimi. On va au CP. On dort. Et on verra si ça dégonfle. L’enfer. Dans mon corps. Et dans ma tête.
Après une longue piste de poussière, nous arrivons finalement à 4 heures du matin au CP. Enfin. Cela fait 5 heures qu’on se dit qu’on arrive. Il n’y a que l’ambulancier assoupi. Une tente. On prend deux couvertures et on s’écroule 5 minutes plus tard. J’ai froid. Car la couverture enfant Cars est minuscule ! Soit tu te couvres les pieds, soit tu te couvres les épaules. Bon allez, opération sac de couchage. Christelle n’a pas le courage de sortir le sien. Ni d’enlever ses godasses.
Deux heures. Sommeil profond. Au chaud. Je ne veux pas sortir de ce cocon. Nos yeux piquent. On se marre avec cette histoire de couverture Cars. C’est bien le camping ! Pied à terre à présent. Ca va mieux. La douleur est revenue à un niveau plus tolérable. Je peux poser le pied. merci. En faisant attention, ça va aller. Je dois pouvoir y arriver. Essayons ! Pâtes bolognaises au réveil… hum… mes bons petits plats lyophilisés ! Cricri ne lâche pas sa micro couette Cars. Il caille dis donc ! Les soeurs Rodriguez ont fière allure. Une nouvelle journée commence. Celle de tous les possibles. L’enfer du canyon est derrière nous. Bienvenue sur le goudron…
A suivre…
2 Comments
Énorme !
Allez les Rodriguez Sisters